Sami Tchak. Les voies du renouveau permet de mettre en lumière la double trajectoire dans laquelle s’inscrit l’œuvre de Sami Tchak : de la déterritorialisation des lieux, qu’accompagnent une écriture et des thématiques subversives, au feedback marquant le retour en Afrique, matérialisé par une réhabilitation des valeurs culturelles du continent.
Sonder et écrire les territoires inexplorés
Tous les romans de Sami Tchak publiés entre 2001 et 2008, à l’exception de Places des Fêtes (2001), comportent une intrigue qui se déroule dans des lieux inhabituels pour le roman africain, à l’instar de l’Amérique latine et des Caraïbes. Cette tentative de déterritorialisation du roman africain est « l’un des exemples les plus réussis d’une création […] où la terre d’origine est à peine perceptible dans la microstructure [de ses récits] » (p.58). Thorsten Schüller précise que ce renouveau tchakien est « la preuve que la dichotomie culturelle postcoloniale entre la France et ses anciennes colonies n’est pas une fatalité » (p.175).
Entre écriture subversive et transgressive avec « d’audacieux discours de sexe » avec des références à Sade, à Ouologuem et l’« adieu à la négritude », il propose de faire une « lecture sexuelle du monde » tout en questionnant des thématiques rappelant à bien des égards l’Afrique. Cette envie d’écrire, de dire les choses sans tabou vaut à Sami Tchak, une réception controversée en Afrique. Toutefois, la lecture profonde de ses textes met en évidence la dénonciation de la violence et du pouvoir, marquée par un regard critique sur « les vies minuscules » marginalisées.
Les lamantins vont boire à la source
De la publication d’Al Capone le malien (2011) au Continent du tout et du presque rien (2021), tous les romans de Sami Tchak qui s’inscrivent dans cette décennie sont marqués du sceau d’un nouveau paradigme « de la marque du sociologue » à travers un retour à l’Afrique. Loin d’être un retour à l’exotisme ou à l’exploration coloniale, ces fictions confirment davantage que l’Afrique, n’en déplaise à d’aucuns, est un riche territoire culturel devant être porté sur la scène internationale. De la recherche du Sosso-bala dans le Mandé impérial à la découverte ethnologique dans le village de Tedi en passant par « les leçons de la forge » dans Ainsi parlait mon père, Sami Tchak adopte une démarche afrofuturiste ponctuée par le retournement de situation et le passage d’une culture minorée à une culture réhabilitée, portée par l’idée de la néo-négritude.
Un bagage littéraire impressionnant
« Le lecteur modèle de Sami Tchak » est confronté à la solide culture livresque de l’auteur marquée par un fort recours à l’intertextualité au service d’une « économie d’écriture » et « d’une densité de sa pensée », pour reprendre les termes d’O.Cazenave. Sami Tchak réfute la médiocrité littéraire en donnant à son lecteur le privilège de jouir de ses lectures, de bénéficier de sa grande culture, lui qui « lit tout et tout le temps » (p.242).
Enfin, prophète chez soi
« […] Nous avions du mal à admettre que dans notre propre pays, nous représentions un peu de chose, pour ne pas dire rien. Du mal à accepter que les nôtres dont nous aurions voulu être la fierté nous jetassent à la figure que nous n’avions peut-être de sens que pour les Blancs » (S.T, 2014 : 61). Cette ire, Sami Tchak, l’a toujours ressentie. Le fait de ne pas être assez lu et considéré dans son pays, voire sur le continent africain. Des universitaires de son pays, à l’instar de B. Satra, ont même lancé une plaidoirie pour que ses œuvres primées soient inscrites au programme scolaire. En mars 2017, par le concours de l’Union européenne et des autorités locales, le natif de Kamonda-Bawounda, vit une consécration nationale lors d’une caravane littéraire au cours de laquelle, il reçoit le Diplôme d’Excellence de l’université de Lomé, distinction qui avait été également faite en 1990 à son Frère d’âme, Kagni Alex.
Le projet de cet ouvrage anthume sur Sami Tchak et son œuvre, porté par Papa Samba Diop, vise à le réhabiliter et à mettre en lumière les affinités littéraires qui l’unissent à ses (com)pairs africains et du monde. Aussi inspirant qu’inspiré, Sami Tchak est sans doute porteur de cette nouvelle voix/voie qui « donne des ailes à la littérature française », comme le confirme J.M.G Le Clézio, lauréat du Prix Nobel de Littérature en 2008 (p.259).
Papa Samba Diop, illustre figure intellectuelle des littératures francophones
Papa Samba Diop est Professeur émérite de littérature francophone à l’Université Paris-Es Créteil. Il est l’auteur d’une importante œuvre critique de référence sur les littératures africaines et caribéennes francophones ainsi que sur les littératures sud-américaines. En 2015, il reçoit le prestigieux Prix Humboldt qui distingue les chercheurs de toute discipline pour l’impact significatif de leurs travaux. L’apport principal de Papa Samba Diop est d’avoir mis en lumière la dimension intrinsèquement multilingue, multiculturelle et trans-séculaire des littératures francophones, en particulier celles d’Afrique subsaharienne. Il a également consacré une part importante de ses travaux à l’influence des langues nationales (wolof, sérère et bambara) et de l’arabe sur la littérature francophone sénégalaise.

Sami Tchak. Les voies du renouveau. Papa Samba Diop (dir.). Peter Lang, 2022
À propos de l’auteur de cet article
Paul Youba Kiebre est doctorant allocataire de l’EUR FRAPP (LIS, UPEC)
Ses recherches portent sur la poétique et la réception en France et en Afrique de Mohamed Mbougar Sarr, David Diop, Sami Tchak et Fatou Diome.
Références bibliographiques
Romans de Sami Tchak
Place des Fêtes, Paris : Gallimard, 2001
Hermina, Paris : Gallimard, 2003
La Fête des Masques, Paris : Gallimard, 2004
Le Paradis des chiots, Paris : Mercure de France, 2006
Fille de Mexico, Paris : Mercure de France, 2008
Al Capone le Malien, Paris : Mercure de France, 2011
L’ethnologue et le sage, Libreville : Editions Odem, 2013
Le duo de l’étoile et la luciole, Abidjan : Editions Adassa, 2020
Femme Infidèle, Lomé : Nouvelles éditions africaines, 1988